mercredi 11 juillet 2012

Brève Histoire du Monde (1/11) - Introduction

Nous allons étudier, dans cette série, un large éventail de textes. Car si, en général, notre habitude est plutôt de nous concentrer sur un ou deux textes ; ici, nous nous pencherons sur des textes allant du tout début de la Torah – la création du Monde – jusqu’à l’histoire d’Avraham.

Nous avons travaillé, il y a quelques temps, sur les relations qu’il y a entre l’expulsion de Yishma’ël et la ’Akeidat Yitshak. Cela nous avait mené à une théorie que je ne vais pas rappeler ici, je vous invite à en lire ici le résumé.

Cette série de cours servira, en quelques sortes, à établir un contexte à cet épisode central qu’est la ’Akeida: Pourquoi cette épreuve était-elle nécessaire ? Qu’est-ce qui l’a causée ? Ceci nous amènera même à mieux comprendre le rôle d’Avraham dans l’histoire du peuple Juif, son rôle, sa mission etc.


Afin d’atteindre ce but, nous observerons le sens des histoires d’Avraham, qui culminent avec la ’Akeida. Nous observerons les histoires d’Avraham comme un tout, examinant leurs contextes et en cherchant à chaque fois les liens qui nous rappellent le début de la Création.

Ce faisant, nous mettrons en exergue certaines difficultés présentes dans les récits  au sujet d’Avraham, comme par exemple :

→ Qui est Avraham ? Quel est son passé? Comment se fait-il qu’on ne nous parle pas de son enfance, qu’il ne nous est pas présenté avant la fameuse injonction « Vas, quitte ton pays, la maison de ton père… » au début de la parashat Lekh Lekha?
-          Pourquoi les histoires du Midrash n’apparaissent-elles pas dans la Torah ? On raconte que Nechama Leibowitz avait rencontré un groupe de soldats israéliens. Elle leur donna un livre du Tanakh et leur demanda de trouver les textes relatant l’épisode tellement connu où Avraham détruit les idoles de son père. Ils cherchèrent en vain. Elle leur expliqua alors que cet épisode n’existait pas dans la Torah mais dans le Midrash…
-          Il y a, en fait, 8 versets, à la fin de la parachat Noah’ qui présentent Avraham. Mais l’information que nous y trouvons paraît banale et sans enseignement. On y parle des pérégrinations de la famille d’Avraham, des mariages des frères de la famille, qu’ils s’installèrent dans tel endroit. Pourquoi avons-nous besoin de connaître ces informations, d’autant plus que la Torah n’a pas l’air de s’y référer par la suite ?

→ Quel est le sens de toutes ces histoires au sujet d’Avraham ? Quel intérêt a-t-on de connaître :
-          Les nuances géographiques des voyages d’Avraham : quelle importance cela a-t-il qu’il soit à Chekhem ou ailleurs ?
-          La querelle entre Avraham et Loth son neveu : pourquoi nous donner tous ces détails sur la dispute, sur sa résolution, sur la séparation etc. ?
-          La guerre entre les 4 rois et les 5 rois : pourquoi Avraham est-il présenté comme un guerrier ? Qu’est-ce que cela apporte à notre compréhension du personnage ? Et puis pourquoi tous ces détails – les noms des rois, des lieux etc. ?

→ Quel est le sens de la vie d’Avraham ? Doit-on exploiter chacune des histoires à part ? Ou bien toutes ces histoires font-elles partie d’un ensemble qui a du sens ?

Voici la théorie que nous allons proposer : il y a une histoire unifiée ici ; toutes les histoires d’Avraham sont en fait les morceaux d’une grande histoire, elles ont un sens global. Cette histoire globale démarre très tôt : dès la Création du Monde ! Nous verrons que nous en retrouverons la quintessence dans le récit de la ’Akeida.

Ce faisant, nous obtiendrons une vue plus large du message du Sefer Béréchit et, peut-être, une signification profonde et précise de l’histoire d’Avraham et de sa mission dans l’Histoire…

Méthodologie

La Torah n’est pas un texte « magique » dans le sens où il est nécessaire d’avoir une lecture attentive et méthodique pour en retirer du sens.

Il existe de nombreuses méthodes de lectures qui ont fait leurs preuves. Comme par exemple :
-          Ecouter ce que le texte a à dire
-          Faire attention aux nouvelles réponses apportées par le texte
-          Faire attention aux transitions : comment A amène B, B à C etc.
-          Etudier ce que les commentaires ont à nous dire : Rachi, Ramban, etc.
-          Etudier ce que nous apprennent les sages du Midrash, essayer de comprendre ce qu’ils veulent ajouter à la discussion

Je voudrais présenter deux méthodologies, que nous utiliserons dans cette série de cours : l’intertextualité et le chiasme (Atbach - אתב״ש).

Intertextualité

L’intertextualité est une analyse sémantique comparée entre deux textes. Elle consiste à répondre à la question : « Où, dans la Torah, a-t-on déjà vu ces mots, ces expressions ? ». Chaque fois que l’on retrouve un mot ou une expression commune à deux passages, cela constitue une connexion. Si les connexions sont nombreuses, cela dépasse la simple coïncidence et montre que les textes doivent être mis en relation.

En effet, la Torah est un texte profond. Cependant, le nombre de mots qui la composent est limité ; des histoires pleines de sens sont dites en peu de versets. Par exemple, l’épisode d’Adam dans le Gan Eden est relaté en une quinzaine de versets seulement.

Si vous étiez D.ieu, comment feriez-vous pour arriver à donner de la profondeur à un texte en un nombre limité de versets ?

Une des techniques que vous utiliseriez est la mise en relief. Un peu comme un architecte soumis au dilemme suivant : ‘comment construire une maison spacieuse sur une surface limitée ?’ : la solution sera de multiplier les étages de son édifice. La Torah, elle aussi, donne plusieurs niveaux de lectures afin de faire passer une grande quantité de messages avec peu de texte. C’est là la profondeur de la Torah.

Si deux histoires sont liées textuellement, c’est que chacune d’elle donne un regard et un angle de compréhension à la seconde : l’une permet de mieux comprendre la seconde. Exactement comme la vue humaine : comment se fait-il que nous voyions les choses en relief ? La réponse est simple : chaque œil, placé différemment, envoie une image spécifique au cerveau. Celui-ci superpose ces deux images légèrement différentes en une seule et même image qui prend alors de la profondeur et du relief.

Ainsi en est-il de l’intertextualité qui permet de voir en relief chacune des histoires qui sont mises en relation.

Atbach (Chiasme)

Il s’agit d’une technique consistant à écrire un texte en mettant face à face le 1er élément avec le dernier, le deuxième avec l’avant dernier et ainsi de suite. Cela peut paraître ésotérique mais quand on devient familier avec cette technique, on se rend compte que la Torah utilise sans cesse l’Atbach.

A quoi ça sert ?

D’abord, il s’agit d’une technique à la fois économique et très puissante. C’est une manière de donner au texte la capacité de s’auto-commenter. Deux éléments mis face à face s’éclaireront mutuellement.
Ensuite, elle permet de définir l’objet central d’un passage de la Torah. L’élément central du texte écrit en Atbach correspondra à  l’élément principal de la narration, peut-être même au message que le texte veut faire passer.
En résumé, dans l’Atbach, c’est la Torah qui s’auto-commente. Elle montre même le centre de gravité de son texte.


Nous essayerons de démontrer dans cette série, en tâchant d’avoir une lecture méthodique du texte de la Torah, que le Sefer Béréchit est unifié. Nous allons principalement travailler la première partie du Sefer Béréchit : de la Création du Monde à la ’Akeida.

Histoires de la Création

Le tout début de la Torah (Béréchit 1) relate la création du monde en 6 jours. Le texte décrit ce que chaque jour a apporté de nouveau. On termine la lecture du chapitre 1 et on commence celle du chapitre 2 sur l’invention par D.ieu du jour du Shabbat. On pourrait alors penser que l’histoire de la création est terminée et qu’il est temps de parler d’un autre sujet. Mais ce n’est pas le choix de la Torah ! Celle-ci, au contraire, semble vouloir reprendre certains éléments et les relater à nouveau. Je vous invite à lire le Chapitre 2, versets 4 et suivants. Vous verrez que certains éléments de la création semble purement et simplement répétés (par exemple la création de l’homme). Mais vous verrez aussi que certaines contradictions apparaissent (par exemple : utilisation du tétragramme Youd-Ké-Vav-Ké  vs utilisation du nom Elokim ou bien Adam seul vs Adam et Hava).

Le Rav J.D. Soloveichik a écrit un essai très intéressant sur cette question (The Lonely Man of Faith – traduit en français par Benno Gross - Le croyant solitaire). En substance, il explique que cela reflète une tension qui existe chez l’homme. Celui-ci se trouve souvent en contradiction avec lui-même ; un peu comme l’homme du premier récit de la création le serait avec l’homme du second récit de la création. En quelques sortes, ces deux récits ne sont pas en contradiction : ils représentent deux aspects d’une même vérité. C’est ce que nous allons démontrer grâce aux méthodologies  précédemment décrites.

Travail à faire pour la prochaine fois

Je vous invite à chercher, dans le Sefer Béréchit, un épisode qui rappelle étrangement la création. Cet épisode se situe après le déluge, dans la parashat Noa’h.
Ce que je vous présenterai dans le prochain épisode est en partie tiré d’une théorie de Rav Yitzchak Etshalom – dont je vous donnerai la référence plus tard.
Alors, allez jeter un œil attentif au Perek 8 et vous verrez, pas à pas, dans l’ordre, tous les éléments de la création réapparaitre : comme une sorte de re-création post-déluge !

A la prochaine !


Pour accéder à l'épisode suivant: http://ravfohrman.blogspot.com/2012/07/breve-histoire-du-monde-episode-211.html



Traduit et retranscrit librement par Naty à partir d’une série de conférences données par Rav Fohrman en 2007. Le titre original de la série est : « Brief History of the World: From Adam to Abraham ».

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